ça pouvait pas durer toute la vie
oui, mais juste encore un peu
dans son parc à l'abandon, clémence de freine s'ennuyait.
c'était une expérience nouvelle qui l'emplissait de curiosité.
elle avait défendu à son jardinier de tondre les pelouses et de tailler les haies ;
ce printemps anarchique, mélange de temps suspendu et de poussées brouillonnes, s'accordait tout à fait avec l'absence de jeanne.
clémence se sentait punie ; en réponse, elle livrait le gazon et les branches à leurs responsabilités, leur liberté, leur désordre.
il était déjà assez triste que jeanne fût derrière des grilles, disciplinée, assagie, fauchée.
l'herbe était haute, gonflée de trèfles et de mousses, les troènes et les pruniers du japon se répandaient en s'emmêlant ; c'était une façon pour cléemence d'écrire à jeanne, puisque ses lettres lui revenaient toujours, closes, avec un mot sur le rabat de l'enveloppe : "ne m'écris pas encore."
obéissante, la marquise n'avait écrit qu'une fois, c'était toujours la même lettre qu'elle renvoyait.
les surcharges et les cachets successifs rendaient l'enveloppe illisible : parfois, c'était un boomerang sans escale, le bureau de chavignin la redistribuant à chavignin.
d'autres fois, une semaine de silence indiquait sans doute que c'était jeanne qui subissait un aller-retour.
un jour, les postiers se lasseraient et la lettre mourrait fermée, dans un centre de tri, entre veuillard et chavignin.
ce jour là, clémence se disait qu'elle irait chez les ursulines, malgré l'interdicition que lui avait signifiée jeanne en partant.
l'orange amère - didier van cauwelaert